Femmes, genre et informatique
Résumé
Le livre "Femmes, genre et informatique (des années 1940 à aujourd’hui)" analyse l'évolution du rôle des femmes dans l'informatique aux États-Unis et en Europe. Il étudie comment ce domaine s’est de plus en plus masculinisé.
Cette anthologie est structurée en trois parties. La première se concentre sur leur (in)visibilité à travers le temps, en soulignant le rôle important des femmes dans les premières années de l'informatique. Elle met en lumière l'évolution du rôle des femmes, d'abord en tant qu'ordinateurs humains ou opératrices de cartes perforées, jusqu'à la professionnalisation du secteur, tout en montrant leur invisibilisation au cours de la période.
La deuxième partie, consacrée aux utilisateurs et à leurs représentations genrées, montre comment le domaine de l'informatique a été ouvertement centré sur les hommes, que ce soit à travers la publicité ou les politiques nationales.
La troisième partie est axée sur l'émancipation, l'appropriation et l'activisme, et présente les premières femmes pionnières de l'industrie du logiciel, comme Elsie Shutt dans les années 1950 et Stephanie "Steve" Shirley dans les années 1960. Concernant les tendances les plus actuelles, cette partie aborde par exemple différentes initiatives visant à encourager les femmes à s’approprier le code, les jeux vidéo et l'informatique dans son ensemble.
Ce livre mêle des approches historiques, sociologiques et anthropologiques, abandonnant les perspectives restrictives d'une informatique uniquement centrée sur la programmation. Les matériaux sélectionnés donnent un aperçu des pratiques et des représentations des experts, des travailleurs de l'informatique et des utilisateurs.
Introduction
Cette anthologie explore le rôle des femmes dans l’informatique à travers les représentations, les imaginaires et les réalités attachés à la relation entre genre et informatique, et la manière dont ces enjeux ont évolué depuis les années 1940 jusqu’à aujourd’hui.
La ressource académique qui ouvre la première partie de cette anthologie, une keynote tenue par Janet Abbate à la « réunion des femmes en sciences et en ingénierie » en 2021, pose d’emblée les problématiques qui traversent notre sujet. L’historienne y revient sur le déclin à partir des années 1980 de la présence des femmes dans le champ informatique et met en relation les questions de genre avec l’évolution de l’informatique. Le choix d’ouvrir cette anthologie avec Janet Abbate est aussi motivé par le rôle qu’elle a joué dans l’essor de la réflexion sur ces questions depuis plusieurs années. Elle a notamment réalisé en 2001 une série d’entretiens oraux avec des femmes investies dans l’informatique (voir l’interview avec Elsie Shutt, mais aussi la riche collection du Charles Babbage Institute sur le sujet), et publié en 2012 l’ouvrage Recoding Gender. Women's Changing Participation in Computing1, deux ans après un autre livre séminal sur le sujet, édité par Tom Misa, Gender Codes, Why women are leaving computing2. Citons également sa participation récente à deux livres qui élargissent la réflexion : Your Computer is on Fire3, qui interroge les inégalités, asymétries, marginalisations et biais à l’œuvre dans les systèmes technologiques, et Abstractions et Embodiments4 qu’elle a co-édité avec Stephanie Dick et qui pose la question des pratiques et des expériences physiques liées à l’informatique. Du corps au travail au corps vieillissant ou handicapé, du corps invisible au corps racialisé, cette approche de l’ordinateur en société a évidemment une forte dimension genrée et intersectionnelle. C’est cette dimension genrée, qui s’exprime à travers les représentations, les métiers, les usages, les programmes et les algorithmes, que ce Living book cherche à présenter.
Penser la relation entre femmes, genre et informatique ne peut se concentrer exclusivement sur la volonté de valoriser les contributions - bien réelles - des femmes à l’informatique et de les faire sortir d’une invisibilité devenue plus relative au regard des travaux récents consacrés au sujet. L’enjeu est aussi de mieux saisir l’évolution qui a mené à la situation actuelle, caractérisée par la désaffection par les femmes des études et métiers de l’informatique. Cette évolution sans précédent présente un contraste saisissant avec un article paru en 1967 dans le magazine Cosmopolitan qui s’enthousiasmait des perspectives nombreuses qu’offrait l’informatique aux femmes. Surtout, cette évolution n’est pas sans conséquences sur les usages de l’informatique et les contenus en ligne. Enfin, il faut aussi se demander ce que l’histoire des femmes dans l’informatique nous apprend sur l’informatique elle-même : "namely, what has the history of women in computing had to say about computing", comme l’a souligné Nathan Ensmenger5.
L’informatique est un objet complexe à saisir, tant ses contours ont évolué des années 1940 à aujourd’hui. Des cartes perforées (INA, 1960), human computers et gros ordinateurs sur lesquelles travaillaient les ENIAC Girls dans l’après-guerre aux mini- puis micro-ordinateurs et à l’informatique personnelle à partir des années 1980, l’informatique est à la fois une science et une industrie en rapide évolution. Or, ces évolutions influencent également les pratiques.
Le choix de cette anthologie a été de considérer non seulement les relations genrées au sein des études informatiques et des métiers qui leurs sont liés, mais également les usages qui se développent autour des ordinateurs, de leur démocratisation et de leur mise en réseaux.
En termes disciplinaires, ce Living book mêle des approches historiques, communicationnelles, sociologiques et anthropologiques. Pour son cadre géographique, ce projet a cherché à se décentrer d’une vision uniquement centrée sur les États-Unis pour faire place à des analyses portant sur des pays européens. Des extraits choisis portent ainsi sur la Grande-Bretagne, la Finlande, l’Allemagne de l’Ouest ou la France. Les objets d’étude envisagés couvrent le travail, les pratiques, mais aussi les usages, avec le choix de considérer à la fois les femmes et les hommes experts, travailleurs ou usagers de l’informatique. L’intention est de dépasser la vision souvent limitative, relevée par Isabelle Collet, qui associe l’informaticien au programmeur, et l’informatique au logiciel.
L’enjeu n’est pas uniquement celui de la place des femmes, mais également celui des rapports genrés et de la masculinité, dans les publicités et les associations informatiques notamment (voir l’exemple de la National Machine Accounting Association dans cette anthologie), et in fine il s’agit de comprendre autant l’évolution de la place des femmes que celle de l’informatique dans nos sociétés.
Une réalisation collective
Cette anthologie a été réalisée par un petit groupe d’étudiant-e-s du MAHEC (Master en histoire européenne contemporaine) à l’université du Luxembourg, à savoir Merima Bahovic, Yan Kremer, Emily Griffin, Andrew Pfannkuche et Timo Wenzel, avec le soutien de deux doctorants (Matthias Höfer et Carmen Noguera).
La création du Living Book s’est effectuée au cours du semestre d’hiver 2022 (14 séances d’1h30), en un travail collaboratif, préparé par un état de l’art et la présentation générale des enjeux du sujet par les enseignant-e-s sur 5 séances, accompagnés de deux interventions de spécialistes, Josiane Jouët et Fred Pailler, et d’éclairages spécifiques sur le plafond de verre ou encore les usages genrés dans la publicité.
Le plan comme le choix des sources a été fait par les étudiant-e-s, qui avaient toutefois pour contraintes d’essayer d’introduire un certain nombre de références académiques incontournables désignées par les enseignant-e-s. La sélection des sources devait aussi répondre aux contraintes d’accessibilité et d’ouverture des ressources, et les étudiant-e-s ont reçu pour consigne d’essayer de varier également les types de sources (films, publicités, affiches, contenus web, entretiens oraux, etc.). Ils ont aussi été invités à rédiger les descriptifs, évalués et repris en groupe pour harmoniser le rendu. Ces moments de relecture collective ont permis d’introduire la notion de peer-review(révision par les pairs).
Cette expérience pédagogique originale a connu des tâtonnements au début du projet, lorsque les étudiant-e-s n’avaient pas encore une connaissance fine de la littérature. C’est la structuration du Living Book qui a posé au groupe le plus de difficultés pour concilier des souhaits d’approches thématiques et chronologiques, ou choisir entre une narration centrée sur l’informatique et le numérique ou davantage orientée vers la longue durée des technologies de l’information et de la communication, incluant notamment le téléphone ou le télégraphe.
Le choix des textes de recherche effectué en général en binôme et discuté ensuite en groupe, comme celui des sources, a été ensuite plutôt fluide, les difficultés portant plus sur l’équilibre à donner entre les parties et les documents, ou sur le choix entre plusieurs textes académiques (par exemple pour le Gamergate) que sur un manque de ressources ou de textes de recherche.
À la croisée de l’histoire de l’informatique et du genre, mais aussi de l’histoire numérique et publique, la réalisation de ce Living Book a permis des apprentissages et lectures scientifiques, et de développer des capacités liées à l’analyse et à la critique des sources, à la médiation scientifique, à l’édition numérique (ouverture, licences, etc.).
Une structure en trois temps
Une approche chronologique aurait été possible, décrivant un prétendu « âge d’or » au cours des années 1960 et 1970, suivi par un basculement lors des années 1980 et une situation actuelle, caractérisée par des formes d’empowerment (encapacitation) et d’activisme, des mouvements d’expression en ligne (MeToo à partir de 2017), mais aussi des biais renforcés, par exemple dans les algorithmes et l’intelligence artificielle. Si cette option n’a pas été retenue, c’est que des ruptures et continuités traversent toute la période étudiée (voir le plafond de verre rencontré par Elsie Shutt ou Steve Shirley dans les années 1950 et 1960, et qui n’a toujours pas disparu aujourd’hui dans certaines entreprises).
Aussi nous avons choisi une structure différente, faisant communiquer passé et présent autour de trois axes, chacun composé d’une sélection de sources historiques accompagnée de textes de recherche : la question de la visibilité et de l’invisibilisation des femmes dans l’informatique est abordée dans la partie 1; celle des utilisateurs, professionnels comme domestiques, et de leur rapport à la technologie, mis en relation avec les représentations notamment publicitaires qui les accompagnent, est analysée dans la partie 2; et enfin celle des controverses, de l’activisme et de l’encapacitation (empowerment) est au cœur de la partie 3.
(In)visibilité à travers le temps
La première partie revient sur les réflexions autour de l’invisibilité et de l’invisibilisation des femmes. L’article de Jennifer Light éclaire la manière dont la contribution des femmes au développement de l’informatique a été progressivement minimisée voire invisibilisée. Elle revient sur le rôle des six femmes qui ont contribué à programmer l’ENIAC, le premier ordinateur électronique américain, pendant la seconde Guerre Mondiale. En effet, au sein du « Projet X » (nom de code donné par l’US Army à l’ENIAC) les ENIAC Girls se voient confier ce que les mathématiciens et physiciens Goldstine et von Neumann ont défini à la fin des années 1940 comme la « sixième tâche » de la programmation, c'est-à-dire le codage. Les autres étapes6 sont réservées à des hommes, qui ont un statut plus élevé au sein de l'organisation. La programmation de l’ENIAC est alors assimilée au travail de bureau (clerical work), même si elle requiert des capacités mathématiques pointues ; les femmes sont d’ailleurs entrainées pendant plusieurs mois aux calculs balistiques.
Deux tâches distinctes sont alors assumées par les femmes : elles sont human computer et six d’entre elles sont programmeuses et formées à transférer des informations dans la machine. Comme le note Nathan Ensmerger, il ne fait aucun doute que le travail des ENIAC girls a été largement sous-estimé parce que c’étaient des femmes.7Leur position subordonnée tient cependant aussi au fait qu’elles travaillent dans le domaine du logiciel et non pas dans celui du matériel informatique, bien que les deux soient étroitement liés. Le travail de programmation est alors moins reconnu que celui qui touche à l’informatique matérielle, à la machine, au hardware. La programmation est encore considérée comme une activité relativement triviale et mécanique ; sa reconnaissance et sa montée en statut passera ensuite par une masculinisation à laquelle contribuent les associations professionnelles. La question de l’invisibilité est également abordée par Giuditta Parolini dans un article sur les contributions des femmes dans les travaux du Rothamsted Statistics Department8. Elle se concentre sur l'invisibilité des 200 femmes qui ont travaillé comme assistantes informatiques dans le département des statistiques de Rothamsted des années 1920 à 1990. Dans le même temps, elle examine comment leurs tâches ont évolué parallèlement à l'évolution des technologies informatiques, passant des ordinateurs humains aux processeurs de données. Quel que soit le changement de fonctions, pendant toutes ces années, elles étaient rarement nommées dans les rapports d'activité scientifique du département. Elles avaient de faibles salaires et une absence de perspectives de carrière. L'auteure dégage plusieurs facteurs qui ont contribué à leur invisibilité. Premièrement, une composante culturelle, illustrée par l'imaginaire créé par la publicité britannique, qui représente les opérateurs informatiques comme une main-d'œuvre féminine, peu coûteuse et non qualifiée. Deuxièmement, il y a un facteur inhérent aux pratiques de laboratoire, à savoir l'invisibilité des techniciens. Son cas d’étude démontre une intersectionnalité de ces questions. L’invisibilité des femmes est autant liée à leur statut de femme qu’à celui de “technicien invisible”9. Cette disqualification des tâches féminines que l’on trouve chez Jennifer Light, Nathan Ensmenger ou Giuditta Paroloni, est également abordée dans l’article de Corinna Schlombs, qui s’intéresse à la saisie de données sur cartes perforées, un métier essentiellement occupé par des femmes en Allemagne de l’Ouest dans les années 1950 à 1970. Elle explore les motivations et les conditions de travail de ces femmes dans le secteur financier, tout en soulignant l’importance de leur prise en compte dans l’histoire de l’informatique.
Les contributions à l’histoire de l’informatique de certaines femmes remarquables sont récemment sorties de l’ombre grâce à des travaux individuels ou collectifs, qui mettent en exergue des figures célèbres comme Ada Lovelace, Grace Hopper ou encore Margaret Hamilton. La célébration en 2015 des 200 ans de la naissance d’Ada Lovelace a marqué un regain d’intérêt pour cette figure singulière. Ada Augusta Byron (1815-1852), fille de Lord Byron, plus connue sous le nom d’Ada Lovelace, a collaboré avec Charles Babbage, mathématicien britannique, précurseur de l’informatique, et elle est passée à la postérité comme étant la « première programmeuse de l’histoire » (non sans susciter des controverses). Autres exemples, la sortie du film The Imitation Game (adapté de la biographie Alan Turing: The Enigma d’Andrew Hodges), où Keira Knightley campe la cryptoanalyste Joan Clarke (1917-1996), qui contribua au décryptage de la machine Enigma utilisée par les Allemands, la série Enquêtes codées (The Bletchley Circle) qui place au centre de son récit les briseuses de code de Bletchley Park pendant la Seconde Guerre Mondiale, le film grand public Hidden Figures (2016), ou encore Halt & Catch Fire, , qui s’intéresse à l’arrivée de l’informatique personnelle dans les années 1980 et met en scène à partir de la saison 2 une start-up dirigée par deux femmes. Mais comme le soulignent Thomas Haigh et Mark Priestley, la mise en valeur de quelques figures héroïques a aussi son revers et ne doit pas cacher la masculinisation du secteur de la programmation dans son ensemble, ou encore les rôles genrés assignés aux femmes et aux hommes. Ceux-ci sont notamment explicites dans les jeux vidéo qui traversent nos trois parties, de la sexualisation des personnages dans les jeux (voir la source consacrée à Dinosaur Planet) au Gamergate, en passant par l'article de Laine Nooney.
Utilisateurs et représentations genrées
La deuxième partie fournit des clés d’explication au déclin du nombre de femmes dans les métiers de l’informatique, palpable dans les statistiques à partir des années 1970. Dans son étude sur le cas de la Grande-Bretagne, Mar Hicks montre qu’au lendemain de la seconde Guerre Mondiale les femmes sont très nombreuses dans l’informatique, avec un salaire et des chances de promotion égaux à ceux des hommes. Mais à partir des années 1970 les portes se referment pour elles, alors qu’on assiste à une masculinisation volontaire du domaine10 .
La publicité et ses représentations genrées, largement abordées dans un article de Mar Hicks, sont également présentes dans le Living Book via une sélection de sources, notamment une publicité pour la machine à écrire électrique (1964-1965) de Smith-Corona et une autre des années 2000 pour QSOL.com.
Quand l’ordinateur de bureau se développe dans les années 1970, il s’inscrit au début dans la lignée des machines à écrire, et il est donc perçu comme une machine de bureau, dédiée en premier lieu aux secrétaires, des femmes11. L'article de Lois Mandel paru en 1967 dans Cosmopolitan promeut les carrières possibles pour les « Computer Girls ». La journaliste y souligne les opportunités illimitées qui s’ouvrent pour les femmes dans l’informatique. Selon Mandel, cette industrie ne ferait aucune discrimination, les femmes y seraient traitées comme des égales des hommes et disposeraient des mêmes avantages que leurs collègues masculins. La journaliste reproduit une citation de l’informaticienne Grace Hopper12 qui explique que « programmer, c’est comme planifier un dîner » : il faut planifier à l’avance, afin d’avoir tout ce dont on a besoin une fois que l’on veut passer à table, avoir de la patience et la capacité à veiller au moindre détail. Les femmes auraient ainsi naturellement des aptitudes pour la programmation informatique. Bien sûr ces conclusions qui essayent de présenter les femmes comme ayant naturellement des dispositions pour la programmation informatique sont critiquables, car elles induisent une forme de naturalisme, à savoir l’idée que les femmes auraient des aptitudes innées pour tel ou tel métier ; un argument souvent convoqué dans la caractérisation du travail des femmes.
Des éléments complémentaires pour expliquer la masculinisation de la profession informatique sont fournis par l’analyse comparative de Chantal Morley et Martina McDonell, ainsi que par celle, plus sociologique, d’Isabelle Collet. Depuis les années 1980, des mesures étatiques, le rôle des associations professionnelles, l’évolution du statut des programmeurs, le développement de l’informatique personnelle et de la culture geek se combinent pour entraîner des biais genrés au sein des professions, représentations et usages de l’informatique.
Enfin les textes de Laine Nooney, Sherry Turkle et Safiya Noble relèvent également des enjeux intersectionnels, en étendant la question à la situation des femmes noires, à la production et à la réception des contenus, et à l’influence des biais algorithmiques sur les usages des utilisatrices et utilisateurs.
Empowerment, appropriation, activisme
Notre troisième partie interroge les controverses, négociations et stratégies mises en œuvre à travers le temps pour contourner le plafond de verre, l'effet Matilda ou encore faire face aux violences sexistes. Ce chapitre aborde les affrontements en ligne, parfois violents, qui se font jour au moment des discussions autour du mariage pour tous et de la « théorie du genre » syntagme péjoratif) en France, ou lors du Gamergate. Le développement par les mouvements féministes de leurs propres stratégies de communication en ligne est également présenté. Cela peut passer par le recours à l’humour ou à la provocation, comme dans le cas du détournement de l’album de Barbie ou des actions des Guerilla Girls.
La sensibilité accrue aux biais et violences sexistes, qui s’exprime avec force par exemple en ligne au moment du déploiement du mouvement #MeToo, est aujourd’hui très visible dans la sphère médiatique. Mais si les biais de genre sont régulièrement dénoncés, ils n’ont pas pour autant disparu des représentations, comme en témoignent plusieurs de nos sources notamment vidéo-ludiques.
Des actions spécifiques et activités de littératie numérique mises en place actuellement par certaines universités pour rendre les filières informatiques plus attractives et inclusives pour les femmes, ou encore les destins de Elsie Shutt et de Stephanie Steve Shirley, évoqués dans le livre Recoding Gender de Janet Abbate, illustrent comment l’empowerment a pu également prendre d’autres formes créatives. Le livre s’ouvre sur un souvenir d’Elsie Shutt, s’étonnant de la présence d’hommes programmeurs en 1953 à Raytheon où elle a été engagée :« It really amazed me that these men were programmers, because I thought it was women’s work »13.Elsie Shutt fonde en 1958 Computations, Incorporated, une entreprise qui employait à ses débuts uniquement des programmeuses en freelance travaillant à domicile. Autre protagoniste du livre, Stephanie Shirley fonde en 1962, alors qu’elle a 29 ans, sa propre entreprise de logiciel en Grande-Bretagne, avec la volonté d’agir tant sur le plan économique que politique et social. Confrontée à plusieurs reprises dans ses emplois précédents au plafond de verre et à l’impossibilité d’une promotion, elle utilise le nom de Steve Shirley, afin que ses clients potentiels ne soient pas au courant qu’elle est une femme avant de l’avoir rencontrée en face à face. Elle va également privilégier le recrutement de femmes qui souhaitent travailler à temps partiel (on retrouve aussi cette thématique dans l’article de Corinna Schlombs) et à domicile afin de pouvoir continuer à veiller sur leurs enfants. Son entreprise va très vite devenir une entreprise à succès : en 1965 elle compte déjà 65 employées, toutes des femmes, avant qu’un décret destiné à éviter la discrimination dans les entreprises ne l’oblige à employer des hommes ! En 1986 16% de ses employés sont ainsi des hommes. En 2009, la compagnie a 1000 employés répartis sur trois pays : la Grande-Bretagne, le Danemark et les Pays-Bas. On notera que le problème de l’employabilité des jeunes mères en Grande-Bretagne, auquel l’entreprise de Stephanie Shirley essaye de répondre, se pose différemment au Danemark, où les infrastructures de garde pour la petite enfance sont bien plus développées, ce qui rappelle à la fois les nuances spatiales et temporelles qui traversent notre étude.
Ce sont toutes ces nuances, au-delà des statistiques ou des affrontements entre des visions très binaires, voire parfois caricaturales dans la publicité, qu’invite à parcourir ce Living Book. Il permet de plonger au cœur de l’histoire de l’informatique et de penser l’informatique et le numérique en société, en une vision diachronique, qui éclaire des tournants, mais aussi des continuités certaines. Si l’état de la recherche a permis de saisir la question - et bien d’autres lectures auraient pu être proposées dans le cadre de ce Living Book - si les actions d’associations, d’universités, celles prises dans certaines entreprises vont dans le sens d’une plus grande inclusion, celle-ci est loin de concerner les seules femmes. Comme plusieurs textes et sources le montrent, les enjeux d’intersectionnalité sont certains, outre que ceux liés au genre dépassent largement la question des femmes, invitant aussi à penser les masculinités à l’œuvre et la place des communautés LGBTQIA+. La prise en compte des enjeux multiples liés à la diversité sociale, aux asymétries de pouvoir, aux fractures numériques (géographiques mais aussi internes au sociétés, séniors, minorités, etc.), à la participation, ou la responsabilité sociétale est loin d’être acquise, et une réflexion sur les valeurs, la gouvernance, la création au sein du numérique, ses usages et ses appropriations reste pleinement d’actualité.
Quelques ressources bibliographiques complémentaires
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1Abbate, Janet: Recoding Gender. Women’s Changing Participation in Computing, Cambridge, Massachusetts 2012.
2Misa, Thomas J. (Hg.): Gender Codes: Why Women Are Leaving Computing, Hoboken, N.J. 2010.
Mullaney, Thomas S.; Peters, Benjamin; Hicks, Mar u. a. (Hg.): Your computer is on fire, Cambridge, MA; London 2021.
4Abbate, Janet; Dick, Stephanie (Hg.): Abstractions and Embodiments. New Histories of Computing and Society, 2022.
5Ensmenger, Nathan: Making Programming Masculine, in: Misa, Thomas J. (Hg.): Gender Codes, Hoboken, NJ, USA 2010, S. 115–141. Online: <https://homes.luddy.indiana.edu/nensmeng/files/Ensmenger2010-MPM.pdf>, Stand: 26.01.2023.
6Il s’agit de la conceptualisation mathématique, de la sélection de l’algorithme, de l’analyse de la précision et des erreurs d’approximation, de la détermination des facteurs d’échelles pour que l’expression mathématique s'insère dans les capacités de calculs de la machine, enfin de la prévision analytique du travail de calculs de la machine
7Ensmenger, Nathan: Making Programming Masculine, in: Misa, Thomas J. (Hg.): Gender Codes, Hoboken, NJ, USA 2010, S. 122–123. Online: <https://homes.luddy.indiana.edu/nensmeng/files/Ensmenger2010-MPM.pdf>, Stand: 26.01.2023.:
"There is no question that the work of the ENIAC women was disregarded in large part simply because they were women. But almost as significant as their gender was their subordinate position as "software" workers in a hardware-oriented development project. Obviously the two are closely related. (...) In the status hierarchy of the ENIAC project, it was clearly the male computer engineers who were significant. The ENIAC women, the computer "programmers," as they would later be known, were expected to simply adapt the "plans of computation".
« Il ne fait aucun doute que le travail des femmes de l’ENIAC n'a pas été pris en compte, en grande partie simplement parce qu'elles étaient des femmes. Mais leur position subordonnée en tant que travailleuses du "logiciel" dans un projet de développement orienté vers le matériel était presque aussi importante que leur sexe. Il est évident que les deux sont étroitement liés. […] Dans la hiérarchie des statuts du projet ENIAC, ce sont clairement les ingénieurs informaticiens masculins qui ont été les plus importants. Les femmes de l'ENIAC, les "programmeuses", comme on les appellera plus tard, devaient simplement adapter les "plans de calcul" ». (notre traduction)
8Parolini, Giuditta: From Computing Girls to Data Processors. Women Assistants in the Rothamsted Statistics Department, in: Schafer, Valérie; Thierry, Benjamin G. (Hg.): Connecting Women. Women, Gender and ICT in Europe in the Nineteenth and Twentieth Century, Cham 2015 (History of Computing), S. 103–117.
9Shapin, Steven: The Invisible Technician, in: American Scientist 77 (6), 1989. Online: <https://dash.harvard.edu/handle/1/3425945>, Stand: 23.02.2023.
10Hicks, Marie: Programmed Inequality. How Britain Discarded Women Technologists and Lost Its Edge in Computing, Cambridge (Mass.) 2017.
(Marie Hicks a ensuite changé son prénom en Mar Hicks).
11 Sur l’histoire des employés de bureau, voir l’ouvrage: Gardey, Delphine: La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau, 1890-1930, Paris 2002.
12 Grace Hopper a obtenu un doctorat de mathématiques avant de se tourner vers l’informatique et de s’engager dans la marine américaine en 1943. Elle y travaille sur le Mark I, l’Univac, des machines IBM, invente le langage de programmation COBOL, et travaille sur le langage Fortran. Une conférence technique internationale, organisée depuis 1994 par l’Anita Borg Institute for Women in Technology, est baptisée Grace Hopper Celebration of Women in Computing en son honneur.
13 Abbate, Janet. 2012. Op. Cit., 1.
Part 1 - (In)visibilité à travers le temps
Sources
US Army Advertisement for the ENIAC
US Army Advertisement for the ENIAC, nd
L'Electronic Numerical Integrator and Computer (ENIAC) a permis pendant la seconde Guerre Mondiale de calculer les trajectoires des missiles. Les ingénieurs ont recruté des programmeuses et pendant des mois, six "ENIAC girls" ont passé leurs journées à programmer l'ordinateur. Elles se voient confier ce que les mathématiciens et physiciens Goldstine et von Neumann ont défini à la fin des années 1940 comme la sixième tâche de la programmation, à savoir le codage. Beaucoup de femmes ont également travaillé comme "human computers" dans ce projet. Les efforts de programmation des "ENIAC Girls" n'ont été reconnus que dans la seconde moitié des années 1990.
Cette photographie montre la manière dont les femmes ont été invisibilisées dans le domaine informatique. La photographie a été cadrée afin de cacher la femme qui fait fonctionner les machines. Avec le texte d’accompagnement, nous pouvons percevoir que la publicité cible les jeunes hommes à la recherche de perspectives professionnelles.
National Machine Accounting Association Annual Meeting (1951)
National Machine Accounting Association Annual Meeting, 1951.
La National Machine Accountants Association (NMAA) aux États-Unis et ses rassemblements annuels ne font pas exception au phénomène dit du "Club des hommes". Cette photo de 1951 montre de nombreux hommes en costume, tandis qu'à l'arrière-plan, on ne distingue qu'une seule femme. Cette photo est également reproduite dans le chapitre "Masculinity and the Machine Man. Gender in the History of Data Processing" de Thomas Haigh, publié dans le livre Gender Codes : Why women are leaving computing, coordonné par Thomas J. Misa. Comme l'explique Haigh, la NMAA est passée d'une association principalement destinée aux superviseurs de cartes perforées à une association informatique plus générale, ce qui l'a amenée à changer de nom en 1963 pour devenir la Data Processing Management Association. En 1964, seuls 2 % de ses membres à l'échelle nationale étaient des femmes, ce qui correspond à ce que l'on peut voir sur l'image. C'était encore moins que les 10% rapportés en 1953 pour le chapitre de la NMAA à Kansas City.
Women in Data Processing (1980)
Women in Data Processing, 1980.
Discours prononcé par Stephanie "Steve" Shirley en 1980 à l'occasion de la Women in Data Processing Conference au sujet des femmes dans l'informatique. Ce document fait partie du blog des collections spéciales et des archives de l'université de Kent, où le lecteur pourra trouver des documents complémentaires.
Stephanie "Steve" Shirley est l'une des femmes les plus célèbres dans le domaine des TIC. Née en Allemagne, elle s'est installée en Grande-Bretagne où elle a obtenu un diplôme en mathématiques. En 1962, elle a fondé la société Freelance Programmers après avoir fait l'expérience du plafond de verre dans différentes entreprises. Elle est connue sous le nom de "Steve" car en raison de l’atmosphère sexiste de l’époque, qui l'a conduite à fonder sa propre société, elle avait l’habitude de cacher son nom pour avoir plus de chances de recevoir des réponses positives et de trouver des clients pour son entreprise. Freelance Programmers s’appuyait exclusivement sur des femmes jusqu'à ce que les lois sur l'égalité des sexes l’obligent à accepter les hommes.
Dinosaur Planet (Nintendo 64 Prototype) vs. Star Fox Adventures (GameCube) | Side by Side (2021)
NeoGamer - The Video Game Archive:
Dinosaur Planet (Nintendo 64 Prototype) vs. Star Fox Adventures (GameCube) | Side by Side, 2021.
Dans cette vidéo, Anita Sarkeesian (qui s'est retrouvée au centre de la campagne de harcèlement du GamerGate) attire l'attention du public sur l'histoire du développement de Star Fox Adventures (2002), conçu à l'origine comme un titre autonome appelé Dinosaur Planet en 1999. Cette vidéo YouTube compare les changements intervenus entre le prototype N64 de Dinosaur Planet et la version finale sur GameCube, sortie en 2002. Le personnage féminin androgyne est sexualisé dans la seconde version du jeu.
Dans sa célèbre série Tropes against Women in Video Games, Sarkeesian a souligné comment les projets d'une protagoniste féminine (Krystal) ont été rapidement abandonnés après que les développeurs aient décidé que le jeu comporterait un protagoniste masculin. Bien qu'ils aient choisi de garder Krystal, les développeurs l'ont transformée en une "demoiselle en détresse", avec une tenue plus légère, attendant d'être secourue par le protagoniste masculin du jeu.
Textes de recherche
How Gender Shapes Opportunity in STEM
Janet Abbate:
How Gender Shapes Opportunity in STEM, 11.13.2021.
Dans sa présentation de 2021 à la "réunion des femmes en sciences et en ingénierie" au Cold Spring Harbor Laboratory, l'historienne et ancienne programmeuse Janet Abbate croise perspectives passées et présentes sur l'influence qu’a le genre sur les opportunités dans le domaine des sciences, des technologies et de l'ingénierie (STEM) en général, et de l'informatique en particulier. En se concentrant sur les parcours professionnels, l'organisation du travail et la perception des compétences en informatique, Janet Abbate retrace l'influence culturelle et structurelle du genre dans le domaine des STEM et offre des perspectives sur la manière d'améliorer l'inclusion. Pour ce faire, elle s'appuie sur des exemples historiques qu'elle a décrits dans son livre Recoding Gender : women's changing participation in computing (2012), où elle a exploré le rôle des femmes dans l'informatique entre la Seconde Guerre mondiale et la fin du XXe siècle.
When Computers Were Women
Jennifer S. Light:
When Computers were Women, 1999.
Dans l'article "When Computers Were Women", Jennifer Light explore le rôle des femmes dans l'informatique en analysant l'histoire de l'ENIAC, premier ordinateur électronique américain. Elle met l'accent sur l'invisibilité des femmes, qui étaient les premières programmeuses, mais dont l'histoire a été rendue imperceptible en faisant de l'informatique un domaine exclusivement masculin. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des femmes diplômées en mathématiques ont été engagées par le gouvernement pour travailler sur les premiers ordinateurs aux États-Unis. Les femmes ont également été impliquées dans le service militaire et civil et les médias ont salué leurs réalisations. Cependant, les communiqués de presse ne mentionnent pas les femmes qui ont travaillé sur l'ENIAC. Light explore comment l'emploi des femmes dans l'informatique a été ensuite réduit, en particulier dans la période d'après-guerre : les femmes se sont tournées vers le secteur de l'éducation en raison de la demande croissante de professeurs de mathématiques, ou sont retournées dans la sphère domestique, ce qui a réduit leur implication dans l'informatique.
Built on the Hands of Women (2023)
Corinna Schlombs:
Built on the Hands of Women. Data, Automation, and Gender in West Germany's Financial Industry, 2023.
Dans cet article, Corinna Schlombs éclaire les tâches professionnelles féminines, notamment dans le secteur de l'automatisation et de la saisie de données en Allemagne de l'Ouest, des années 1950 aux années 1970. Elle s'appuie sur deux études de cas choisies dans l'industrie financière : la compagnie d'assurance Allianz et les caisses d'épargne Sparkassen. Elle se concentre sur le travail, essentiellement féminin, lié aux cartes perforées, et note : "Doublement désavantagées en tant que femmes et en tant qu'employées présumées non qualifiées, les opératrices de cartes perforées doivent être intégrées dans le récit de l'histoire de l'informatique". Tout en comparant l'emploi féminin dans deux industries, elle met en lumière les motivations des femmes qui se lancent dans ce métier et analyse comment cette tâche "bien que peu rémunérée et routinière - a pu apparaître comme un poste approprié et même souhaitable pour les mères de famille, car il offrait un travail au sein d'un environnement de cols blancs dans des institutions respectables".
Historical Reflections Innovators Assemble
Thomas Haigh and Mark Priestley:
Historical Reflections Innovators Assemble: Ada Lovelace, Walter Isaacson, and the Superheroines of Computing, 2015.
Dans cet article de 2015 de Communication of the ACM, Tom Haigh et Mark Priestley donnent un aperçu de celles qu'ils considèrent comme deux figures révolutionnaires dans le domaine des TIC : Ada Lovelace et Grace Hopper. Citant le travail du biographe américain Walter Isaacson, les auteurs soulignent que l'intérêt du public réside souvent dans la découverte des vies personnelles des innovateurs. Ils critiquent le regard centré trop exclusivement sur les hommes. Pour contrer cela, ils insistent sur le potentiel des histoires de ces femmes, qui peuvent être présentées au public comme des héroïnes. Néanmoins, les auteurs soulignent les risques d'un tel discours centré sur les figures de proue d'un domaine scientifique ; il tend à simplifier l'histoire à l'extrême et à occulter les "petites figures" qui travaillent dans les coulisses. Le processus de narration ne doit pas faire obstacle à une représentativité historique précise.
Making Programming masculine
Nathan Ensmenger:
Making Programming masculine, 2010.
Dans son chapitre " Making Programming Masculine ", Nathan Ensmenger, spécialiste de l'histoire sociale et culturelle des logiciels, explique comment les femmes ont été évincées du secteur de la programmation. Il commence par l'article de Cosmopolitain "The Computer Girls", datant des années 1960. Nathan Ensmenger analyse le rôle des femmes dans ce domaine en pleine expansion qu'est l'informatique. Son objectif est de démontrer ce que l'histoire des femmes dans l'informatique peut révéler sur l'informatique elle-même. Ce faisant, il remonte jusqu'aux ENIAC girls et montre que la programmation informatique était initialement un travail de femmes, ce qui a changé au fil du temps. Avec sa professionnalisation, une certaine masculinisation du domaine s'est produite.
Part 2 - Utilisateurs et représentations genrées
Sources
The electric typewriter (1964-1965)
The electric typewriter, 1964-1965.
Cette publicité a été diffusée en 1964-1965 pour la machine à écrire électrique Smith-Corona. Les machines à écrire électriques sont devenues très populaires, notamment pour leurs caractéristiques différentes des machines à écrire manuelles. Sur les machines à écrire électroniques, le contenu pouvait facilement être modifié lorsqu'il avait déjà été tapé et plusieurs copies pouvaient être obtenues si des modifications étaient apportées aux documents. Sur cette publicité, on peut voir une secrétaire tenant le câble de la machine électrique et le posant sur sa joue,en un mouvement d'affection envers la machine à écrire. Les phrases "J'adore ma nouvelle électrique ! (Mon patron aime son prix manuel)”, suggère des asymétries de pouvoir et de vision, et une certaine condescendance envers la femme.
The Computer Girls (1967)
The Computer Girls, 1967.
Cet article de Lois Mandel a été publié dans Cosmopolitain en 1967. Il se compose d'un texte et de trois photos qui montrent une femme (Ann Richardson, à l'époque ingénieur système chez IBM). On la voit travailler avec un autre ingénieur masculin et présenter un "stylo lumineux" à trois collègues qui ont l'air étonnés. Dans l'article lui-même, l'auteur souligne que le domaine de l'informatique est aussi un travail pour les femmes qui leur offre la possibilité d'être mieux payées que dans la plupart des autres emplois. L'article contient une citation de Grace Hopper, l'une des principales figures féminines de l'histoire de l'informatique, sur la programmation : "C'est comme organiser un dîner". Même si cet article encourage clairement les femmes à se lancer dans le codage, la comparaison faite par Hopper perpétue une conception genrée de compétences considérées comme typiquement féminines.
Advertisement by QSOL.COM (2000 and 2007)
Advertisement by QSOL.COM, 2000 and 2007.
Cette publicité sexiste a été diffusée par Qsol.com en août 2007. En termes de composition, la publicité suit un modèle classique, avec une image proéminente, un slogan et la marque de l'entreprise. En 2000 déjà, une version antérieure de la même publicité avait été très contestée et avait même reçu un DisGraceful Award de GraceNet (un groupe qui promeut les femmes dans l'informatique), après quoi QSol.com avait présenté des excuses publiques. Cependant, cela ne les a pas empêchés de la republier pratiquement mot pour mot sept ans plus tard dans le même magazine, Linux Journal. Dans cette publicité, on peut voir le visage d'une femme aux lèvres maquillées de rouge vif. Le slogan est formulé sous la forme d'un jeu de mots qui, combiné au visage féminin, insinue un acte sexuel.
When Women Stopped Coding (2014)
Quoctrung Bui:
When Women Stopped Coding, 21.10.2014.
Ce graphique de Quoctrung Bui a été régulièrement reproduit dans des articles portant sur la disparition des femmes de l'informatique. Réalisé à l'origine pour la National Public Radio (NPR), il montre la forte diminution du nombre de femmes dans l’informatique par rapport aux autres disciplines. Après une augmentation continue du pourcentage de femmes dans l'informatique, comparable à celui de la médecine, du droit et des sciences physiques, un moment décisif peut être identifié au milieu des années 1980, lorsque le nombre relatif de femmes dans l'informatique a commencé à baisser, défiant la tendance à la hausse régulière présente dans les autres disciplines. L'étude montre comment des évolutions historiques continuent d'influencer le domaine des décennies plus tard.
Report from the US National Board of science (2022)
Amy Burke, Abigail Okrent, Katherine Hale:
Report from the US National Board of science, 2022.
Le Conseil national des sciences des États-Unis a publié en janvier 2022 un rapport sur l'état des sciences et de l'ingénierie aux États-Unis, à l'échelle nationale et internationale. Dans la section examinée ici, l'accent est mis sur l'enseignement et la main-d'œuvre dans le champ des sciences, de la technologie et de l'ingénierie. Les données utilisées proviennent d'enquêtes et de données administratives recueillies par des entreprises, des gouvernements et des organisations. Si l'on considère la composition démographique entre 2010 et 2019, la part des femmes a augmenté de 2 %, représentant 44 % de la main-d'œuvre en 2019. Néanmoins, les femmes ne sont pas présentes de manière égale dans tous les domaines des sciences, de la technologie et de l'ingénierie. Si en 2019, les femmes étaient plus nombreuses que les hommes dans les sciences sociales, puisqu'elles étaient 65% dans ce domaine, elles ne représentaient que 16% des ingénieurs et 26% des informaticiens et mathématiciens. Ces chiffres montrent que la question de la sous-représentation des femmes dans ce domaine est toujours d'actualité.
Textes de recherche
Only the Clothes Changed
Marie Hicks:
Only the Clothes Changed. Women Operators in British Computing and Advertising, 1950-1970, 2010.
Mar Hicks est l'auteure de Programmed Inequality. How Britain Discarded Women Technologists and Lost Its Edge in Computing (2017). Son étude commence dans les années 1930 et se termine à la fin des années 1970, et couvre ainsi la période allant de l'entrée des femmes dans l'informatique par le décryptage de code et le traitement des données jusqu'au déclin progressif de la présence féminine dans ce domaine, tout en abordant également le "travail de guerre genré" et la division du travail pendant la Seconde Guerre Mondiale. La contribution de Mar Hicks dans l'analyse des relations genrées qui traversent l'histoire de l'informatique, notamment en Grande-Bretagne, n'est plus à démontrer. Dans cet article publié en 2010, elle analyse à travers une étude de cas couvrant le milieu des années 1940 à 1970 "comment la publicité a à la fois reflété et potentiellement affecté le travail informatique britannique des débuts en créant une certaine image et des modèles culturels pour les travailleurs, et en influençant les attentes managériales".
The Gendering of the Computing Field
Chantal Morley and Martina McDonnell:
The Gendering of the Computing Field in Finland, France and the United Kingdom Between 1960 and 1990”, 2015.
Malgré des voies différentes, comme le démontre ce chapitre de Chantal Morley et Martina McDonnell, comparant trois pays européens de la fin des années 1960 au début des années 1990 (le Royaume-Uni, bien étudié par Mar Hicks (voir le texte de recherche précédent), la France et la Finlande, qui arrive dans l'industrie informatique plus tardivement), il existe des similitudes concernant le rôle joué par les femmes dans l'industrie informatique. La masculinisation de l'informatique a également des causes similaires dans ces trois pays. Ce chapitre fait partie d'un ouvrage édité par Schafer et Thierry, Connecting Women. Women, Gender and ICT in Europe in the Nineteenth and Twentieth Century (Springer, 2015), dont les chapitres offrent une perspective de "longue durée" sur l'imbrication des technologies de l’information et de la communication (TIC) et du genre, des demoiselles du téléphone et du télégraphe à l'informatique.
Effet de genre
Isabelle Collet:
Effet de genre. Le paradoxe des études d’informatique, 2011.
Dans cet article de 2011, Isabelle Collet, auteure de Les Oubliées du numérique (2019) insiste déjà sur l’absence des femmes dans les études informatiques. “Plutôt que de s’interroger sur un désintérêt global de la part des femmes, il est plus juste de parler d’un engouement et d’une orientation massive de la part des hommes vers ces filières, ce qui marginalise des femmes déjà rares”, note-t-elle. Elle souligne le poids des imaginaires et représentations sociales au moment du développement de la micro-informatique, avec la montée en puissance de la figure des geeks, des hackers, etc.
Computional Reticence
Sherry Turkle:
Computional Reticence. Why Women fear the Intimate Machine, 1986.
Les constats d’Isabelle Collet dans l’article précédent sont à mettre en relation avec les réflexions antérieures de Sherry Turkle datant de 1986 sur les réticences des femmes à l’égard de l’ordinateur, le rejet de la figure du hacker, la réticence à l’égard des systèmes formels ou encore le sentiment de malaise face au pouvoir notamment psychologique de l'ordinateur. On notera ainsi la précocité de ces réflexions menées sur la relation genrée aux ordinateurs. Sherry Turkle est professeur au MIT et fondatrice de l'initiative portant sur la technologie et le « self ». Elle est reconnue pour ses livres sur les cultures numériques tels que Alone Together: Why We Expect More from Technology and Less from Each Other (2011) ; The Second Self : Computers and the Human Spirit (2005) ; Life on the Screen : Identity in the Age of the Internet (1997).
Google Search
Safiya Umoja Noble:
Google Search. Hyper-visibility as a Means of Rendering Black Women and Girls Invisible, 2013.
Safiya Umoja Noble est spécialiste des études intersectionelles, croisant enjeux genrés et racialisation dans les cultures numériques. Elle est surtout connue pour son livre Algorithms of Oppression (NYU Press) publié en 2018, mais c'est dans cet article publié en 2013 dans InVisible Culture qu'elle expose pour la première fois comment les moteurs de recherche favorisent les stéréotypes racistes et sexistes. Noble démontre comment le rôle de Google en tant que "système de symboles socialement dominant" reproduit des "relations de pouvoir racialisées et genrées" qui placent les femmes noires dans une double contrainte, où elles sont soit oubliées, soit considérées par le biais caricatures racistes et sexistes. Dans l'article, elle explique aux activistes qu'un Internet antiraciste ne peut pas être incolore, il doit promouvoir positivement les voix des Noirs, des femmes et d'autres voix réduites au silence.
Archaeologies of Gender in Videogame History
Laine Nooney:
A Pedestal, A Table, A Love Letter. Archaeologies of Gender in Videogame History, 2013.
Les recherches de Laine Nooney portent sur le féminisme, les médias et la technologie. Cet article est paru dans Game Studies, la revue internationale de recherche sur les jeux vidéo. L'auteur s'interroge sur le rôle des femmes dans l'histoire du jeu vidéo. En s'appuyant sur l'exemple de Roberta Williams, conceptrice de jeux et fondatrice de Sierra On-Line, l'auteure montre comment les femmes sont dépeintes dans le monde "masculin des jeux". Nooney opte pour une approche critique de l'histoire du jeu vidéo et du rôle des femmes dans celle-ci. Williams, "la femme solitaire", ne correspondait pas à l'image du geek, et ne se voyait pas comme tel. Les rôles stéréotypés liés au genre, qui lui ont été imposés, l’ont amenée à créer son propre style de jeux. Laine Nooney plaide pour un élargissement des études afin de rendre visible les figures féminines, rapidement oubliées, qui ne faisaient pas partie du "boys club".
Part 3 - Empowerment, appropriation, activisme
Sources
Elsie Shutt: An interview conducted by Janet Abbate
Elsie Shutt:
Interview conducted by Janet Abbate, 26.01.2021.
Cet entretien oral réalisé par Janet Abbate en 2001 présente Elsie Shutt, une femme pionnière dans l'industrie du logiciel aux États-Unis. Elle est une entrepreneure pionnière en créant sa société, Computations, Inc. en 1958 . Dans l'interview, elle parle de ses expériences à l'école, en tant que programmeur et en tant que chef d'entreprise. Elle a commencé à travailler à la Raytheon Company en 1953. Lorsqu'elle est tombée enceinte, elle a dû quitter son emploi, comme l'exigeait la loi de l'État. Néanmoins, elle a voulu rester active professionnellement et a fait des travaux en free-lance pendant un an, jusqu'à ce que les événements la poussent à créer sa propre entreprise. En effet, elle a demandé à l'entreprise pour laquelle elle travaillait de faire un contrat de sous-traitance à deux collègues féminines dans la même situation familiale qu’elle. Après le refus de l’entreprise, elle a créé Computations, Inc. et les a embauchées. Cette main-d'œuvre non conventionnelle est devenue la base de son modèle d'entreprise.
Feminist Hacker Barbie
Kathleen Tuite:
Feminist Hacker Barbie, 2014.
Publié en 2010, parallèlement à la sortie d'une poupée, le livre Barbie : I can be a computer engineer a suscité une réaction immédiate en raison de sa représentation misogyne et pleine de préjugés des femmes dans le domaine de l'informatique. L'histoire suit Barbie qui, après avoir eu l'idée d'un jeu vidéo, demande à deux de ses amis de le fabriquer pour elle après ses tentatives maladroites et ratées. Elle est montrée comme ayant un esprit inventif mais n'ayant pas les connaissances techniques pour mener à bien le projet. Cela perpétue l'image de la femme ayant constamment besoin de l'aide technique masculine. Le livre a fait l'objet de réinterprétations ironiques comme dans le blog de Kathleen Tuite en 2014 : Feminist Hacker Barbie, invitant les lecteurs à réécrire des pages du livre sur un site dédié. Le livre a ensuite été retiré des ventes par Mattel, propriétaire de la marque Barbie, qui a promis de changer la manière dont est présentée Barbie.
The Internet Was 84.5% Male And 82.3% White
The Guerrilla Girls:
The Internet Was 84.5% Male And 82.3% White, 1996.
Les Guerilla Girls sont un collectif artistique féminin anonyme, qui se nomme d'après des femmes célèbres décédées. Dans un livre publié en 1998, le Guerrilla Girls' Bedside Companion to the History of Western Art, elles se présentent comme des artistes luttant contre toutes les formes de discrimination. Cette gravure date de 1996 et est extraite d'un portfolio créé entre 1985 et 2017. Soulevant une question intersectionnelle de manière provocante, elle montre une statistique indiquant clairement que l'internet est dominé par les blancs et les hommes.
Black women and coding
Black women and coding, 2019.
Cette vidéo de 2019, réalisée par Mashable, présente "iamtheCODE", une initiative créée par la tech-entrepreneuse d'origine sénégalaise Mariéme Jamme. Fondé en 2017, ce programme vise à donner plus d'opportunités aux filles issues de zones défavorisées en Afrique et les aide à accéder à l'éducation en STEAMD (Science, Technologie, Ingénierie, Arts, Mathématiques et Design). L'objectif de Jamme est de soutenir l'éducation de plus d'un million de filles d'ici à 2030, afin de contribuer à la réalisation des objectifs de durabilité de l'agenda 2030 des Nations unies en matière d'éducation. Grâce à ce programme, les participantes apprennent à coder, acquièrent de l'expérience dans la résolution de problèmes grâce à un apprentissage créatif et bénéficient de programmes de mentorat.
Women as Background Decoration
Feminist Frequency:
Women as Background Decoration: Part 2 - Tropes vs Women in Video Games, 2014.
La série Youtube, Tropes vs Women in Video Games, d'Anita Sarkeesian, critique féministe des médias, a suscité une forte d'attention (et des réactions de haine) de la part des communautés misogynes d'Internet, ce qui a entraîné des menaces de viol et de mort. La série de 20 épisodes de 2013 à 2017 présentait des critiques féministes de la manière dont les femmes sont représentées dans les jeux vidéo et comment cela influence leur production et la culture vidéoludique.
L'épisode spécifique présenté ici a été publié le 25 août 2014 et a attiré la réaction misogyne des participants au GamerGate qui s'étaient récemment organisés contre la développeuse de jeux Zoë Quinn. Les critiques féministes des médias de Sarkeesian ont fait face à des attaques grossières, vitrioliques et décousues de la part des participants au GamerGate.
Textes de recherche
A Woman Named "Steve"
Lori Cameron:
How a Woman Named "Steve" Became One of Britain’s Most Celebrated IT Pioneers, Entrepreneurs, and Philanthropists.
Cet article, accompagné de courts films documentaires et témoignages, permet d’éclairer la carrière de Stephanie Shirley. Elle fait partie des femmes entrepreneures qui, à l’instar de Dina St Johnston, née Vaughan, montent leur propre entreprise de logiciel en Grande-Bretagne. Leur carrière témoigne d’une volonté d’agir face au plafond de verre et aux contraintes organisationnelles de leur temps, sur le plan économique, politique et social. Après avoir travaillé au service postal britannique puis dans une compagnie de développement de logiciel, confrontée à l’impossibilité de promotion, en 1962, à l’âge de 29 ans, Shirley crée sa propre compagnie (Freelance Programmers) et utilise le nom de Steve Shirley. Son entreprise va vite connaître le succès : en 1965 il y a 65 employés déjà, toutes des femmes. Face au problème de la maternité et du statut social des mères de jeunes enfants, l’entreprise essaye d’apporter des réponses en employant des mères de famille à temps partiel en freelance à domicile.
Encouraging women in computer science
Eric Roberts, Marina Kassianidou and Lilly Irani:
Encouraging women in computer science, 2002.
Écrit par l'informaticien Eric Roberts et deux étudiantes de premier cycle du département d'informatique de Stanford, Marina Kassianidou et Lilly Irani, cet article publié en 2002 dans le ACM SIGCSE Bulletin explore les mesures que les départements d'informatique peuvent prendre pour lutter contre la sous-représentation des femmes dans ces programmes. Après avoir identifié les obstacles qui empêchent les femmes de suivre ou/et de terminer un programme d'informatique, comme le manque de modèles ou de soutien de la part de leurs pairs, les auteurs détaillent les initiatives prises à Stanford pour augmenter le nombre d'étudiantes en informatique, notamment une refonte du cours d'introduction, l'implication de modèles à plusieurs niveaux de la hiérarchie universitaire, un programme de mentorat et des programmes dits de transition visant à aider à préparer les étudiants débutants. Les auteurs soulignent que ces mesures ne sont qu'un début, et ils évoquent d'éventuelles mesures futures.
The Long Event of #GamerGate
Torill E. Mortensen:
Anger, Fear, and Games. The Long Event of #GamerGate, 2018.
Torill Elvira Mortensen décrit le GamerGate (GG) comme un mouvement d’extrême droite s'opposant au "jeu vidéo politiquement correct" et à une lecture féministe de l'histoire du jeu vidéo. Le GG s'est déroulé en 2014-2015, principalement dans des Image Board Places, dont la conception technique permet de cacher systématiquement les opinions contraires. Les partisans du mouvement ont utilisé la liberté d'expression comme prétexte pour diffamer divers chercheurs et journalistes spécialisés dans le jeu vidéo. Ce mouvement non coordonné a pris des formes diverses ; dans certains cas, les actions se sont limitées à des menaces verbales, mais elles ont également pris des formes plus radicales de pranks sur Internet, comme le doxing et le swatting. Mortensen associe ce mouvement aux Hooligans et aux valeurs hypermasculines.
Les mobilisations féministes en ligne
Josiane Jouët, Katharina Niemeyer and Bibia Pavard:
Faire des vagues: Les mobilisations féministes en ligne, 2017.
Cette étude propose une analyse en amont du mouvement MeToo. Dans leur article "Faire des vagues: Les mobilisations féministes en ligne", les auteures s'intéressent au renouveau des mobilisations féministes en France. Leur analyse porte un intérêt particulier à la présence et aux pratiques en ligne, mises en perspective avec les luttes passées. Cet héritage est questionné à l’ère numérique. Le recours au passé est partie prenante des stratégies de communication numérique, avec la mise en avant de vidéos, de photographies et de documents d'archives. L'accès à la technologie et aux outils numériques a également permis de créer un renouvellement des procédés militants, mêlant les pratiques en ligne et hors-ligne, pour multiplier les formes du militantisme et de la mobilisation.
#Theoriedugenre
Virginie Julliard:
#Theoriedugenre. Comment débat-on du genre sur Twitter?, 2016.
Pour clôre notre sélection de textes de recherche et ouvrir sur des problématiques plus larges, liées aux usages du numérique, le texte de Virginie Julliard dédié aux débats sur la “théorie du genre” sur Twitter nous a semblé constituer un point intéressant. En effet, sur les réseaux socio-numériques, les internautes débattent activement des questions liées au genre, par exemple en France au moment des controverses autour du Mariage pour tous, ce dont témoigne aussi l’article de Maxime Cervulle et Fred Pailler dans «#mariagepourtous : Twitter et la politique affective des hashtags» (2014). Virginie Julliard relève ici la polarisation des débats, la partition des espaces de discussion, l’entre soi, la neutralisation des voix discordantes ou encore la violence des échanges.